2020, une année doublement olympique… et alors?
Des opportunités à saisir : Partie 3/3 – L’excuse d’un événement sportif majeur
Nous avons vu dans les deux précédents volets de cet article que la Suisse comptait beaucoup sur ses jeunes smicards du sport d’élite pour réaliser des exploits et ramener des médailles, sans nécessairement les soutenir à un juste niveau. Par ailleurs, l’état de santé physique et psychologique de nos adolescents inquiète plus d’un professionnel de la santé et nécessite une très sérieuse prise de conscience de nos autorités. Or, le sport et une activité physique régulière et inclusive, sont largement reconnus comme des déterminants clés dans la promotion du bien-être et d’une bonne santé physique, psychologique et sociale.
C’est justement dans ce contexte, et dans une région qui s’identifie de plus en plus fortement avec une Health & Sport Valley, qu’un gros événement sportif focalisé sur la jeunesse peut représenter une excellente excuse pour transformer l’approche et la promotion des pratiques sportives. Et surtout, pour reconnecter les jeunes avec le plaisir de bouger, de jouer et de développer ainsi leurs compétences psychomotrices et sociales, par une activité physique saine et inclusive – et cela dès le plus jeune âge !
Toutefois, une action plus déterminée et ambitieuse de nos autorités est devenue indispensable et urgente, à la fois dans le milieu scolaire, mais aussi à travers les clubs sportifs ou encore, et désormais dans des proportions grandissantes, dans le cadre urbain et non-institutionnel de nouvelles formes de sport. Mais pour ce faire, encore faut-il considérer le sport et l’activité physique non-pas uniquement comme des loisirs ou une activité commerciale, mais comme des outils précieux au service de politiques publiques volontaires et anticipatrices. Et voir un gros événement sportif comme une occasion rare de réunir les forces et les acteurs autour de problématiques urbaines, sociales, sanitaires ou de jeunesse qui nécessitent une action déterminée et intégrée de l’Etat, pour un changement durable.
Mais voilà… nous n’y sommes pas ! Pas du tout même…
Un événement pour, avec et par la jeunesse ?
Que dire des bénéfices et de l’effet catalyseur d’un événement unique, les Jeux Olympiques de la Jeunesse, qui, comme ce slogan séduisant le dit si bien, se veulent un événement pour, avec et par les jeunes ? Ici, la question centrale subsiste : que restera-t-il de ces Jeux après janvier 2020 ? Au-delà de quelques nouvelles infrastructures sportives nécessaires et bienvenues pour la région et ses sportifs, le véritable enjeu et défi reste largement ignoré. Il s’agit de la participation sportive du plus grand nombre, avec un focus sur la promotion d’un mode de vie sain et actif, l’inclusion sociale et une attention toute particulière portée aux filles et aux poches de jeunes les plus sédentaires et vulnérables.
Ici, il ne s’agit pas uniquement de mettre en place des initiatives d’engagement de la jeunesse comme le fait déjà très bien le comité d’organisation avec diverses écoles régionales, mais de réfléchir à une trace durable de cet événement dans la pratique sportive de nos jeunes et dans les structures sportives de base. Les Norvégiens qui ont accueilli la version précédente de cette joute hivernale en 2016 l’avaient bien compris : les JOJ représentent une occasion unique de former la relève du sport national, non seulement sur les pistes de ski, mais aussi et surtout en coulisse. Or, préparer les coachs de demain, les jeunes arbitres et juges de demain, les techniciens et préparateurs physiques de demain et les futures managers, présidents et volontaires des clubs sportifs exige un effort de plus grande ampleur et d’une plus sérieuse ambition que ce que Ittigen (siège de Swiss Olympic) et Macolin (siège de l’Office Fédéral des Sports) nous ont montré ces dernières années. Car c’est bien connu, l’héritage sportif, social et jeunesse d’un grand événement sportif n’arrive pas par hasard (ni en jouant à feu sport-toto), mais grâce à une vraie volonté politique, à des enveloppes plus conséquentes et à des leaders visionnaires. La vision d’un héritage sportif, social, jeunesse et de santé publique découlant d’un événement majeur comme les JOJ exige également une étroite collaboration entre différents Services et Départements de l’Etat, entre des acteurs publics, privés et associatifs, ainsi qu’une entente qui va au-delà de tous les clivages politiques habituels.
On l’aura compris, il y a du pain sur la planche… ce d’autant plus que l’industrie de l’événementiel n’a pas encore pleinement saisi les enjeux sociétaux qui l’entoure afin de mieux profiter de la dimension catalysatrice des grands festivals du sport internationaux. Elle reste encore essentiellement focalisée sur des considérations opérationnelles et réputationnelles de court terme.
Le compte à rebours est lancé, il ne reste
plus que 309 jours avant les JOJ
Soutenir la pointe ET la base
Ainsi, le chronomètre tourne… et à l’orée d’une année doublement olympique, les jeunes talents du sport suisse méritent une plus grande attention, tout comme l’état de santé de nos adolescents. Soutenir notre élite sportive ne peut aller que de pair avec son engagement à redonner à la base : en s’investissant pour inspirer les plus jeunes athlètes et en partageant sa passion dans les écoles et les clubs de nos régions. Pour cela, le sport d’élite doit impérativement être considéré à sa juste valeur dans notre société, et non pas seulement comme un simple loisir superflu ou, même pas mieux, une opportunité de faire des affaires et de briller sur la carte du monde…
Car aujourd’hui, il ne suffit plus de s’acheter une équipe professionnelle ou le droit de nommer un stade du nom de sa marque. Pour nos acteurs politiques et économiques, il importe désormais de comprendre et de soutenir la valeur éducative et sociale du sport, celui de masse comme celui de l’élite, car ce continuum se nourrit l’un l’autre, pour le bien de notre jeunesse. Et c’est bien connu : bouger, c’est bon pour la santé. Pour notre santé sociale et économique aussi !
Une occasion unique à saisir pour la région et pour notre jeunesse
En conclusion des trois volets de cet article…
La Suisse a presque toujours brillé dans les compétitions olympiques de triathlon, avec au moins une médaille récoltée à chaque édition des JO depuis Sydney 2000 (exception faite de Beijing 2008). Oserons-nous donc espérer un autre exploit sportif à Tokyo 2020 ? Peut-être, mais le véritable exploit ne consisterait-il pas en une plus sérieuse compréhension des opportunités que représentent pour les jeunes de notre région l’accueil d’un événement planétaire comme les Jeux Olympiques de la Jeunesse en janvier prochain ?
Et au fait, quelqu’un pourrait-il suggérer au grand argentier de la Confédération qu’il y a ici une belle opportunité d’investir dans la jeunesse ? En effet, Monsieur Maurer s’est une nouvelle fois fourvoyé dans sa règle de trois pour dégager un excédent de 2,9 milliards sur l’exercice 2018 de la Confédération (après les 2,8 milliards de 2017…). Dans un pays qui vient de se tirer une énième et magistrale balle (olympique) dans le pied avec l’échec prématuré de la candidature de Sion 2026, on ne peut plus décemment prétendre qu’il manque des moyens pour nous occuper de nos jeunes, sportifs, sédentaires ou déprimés. Et soyons attentifs, car ils sont désormais dans la rue pour exiger de nous que nous préservions leurs conditions de vie et celles des générations qui suivront !
Jeunesse, sport, santé et environnement… autant de domaines et d’enjeux qui doivent être approchés de manière intégrée, pour le bien-être de nos jeunes citoyens, mais aussi pour le bien de notre économie, pour la résilience de notre système de santé et pour la pertinence de notre système éducatif.
Philippe Furrer
Activiste du mouvement et du sport
@inspoweredby
Cet article a été publié sur mon blog du journal Le Temps en mars 2019
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