Bilan de Lausanne 2020 – Alors, déçus en bien?
A l’heure où les jeunes athlètes rangent leurs lattes, patins ou autres luges pour retrouver les bancs de leur école et où les tentes, banderoles et oriflammes sont pliées (et espérons-le recyclées !), de nombreux bilans de ces Jeux Olympiques de la Jeunesse seront tirés, publiés et partagés. Certains s’évertuent encore (hélas) à compter les médailles et à s’enorgueillir de la formidable moisson des jeunes helvètes. Il faut pourtant rappeler que seuls 6 à 10% des participants aux JOJ auront un jour la chance de participer aux Jeux Olympiques (estimation basée sur les 10 dernières années, depuis la première édition des JOJ à Singapour en 2010). L’intérêt est donc au-delà des médailles et des performances sportives. Chaque athlète ressortira grandi de cette expérience olympique et, on l’espère, inspiré par les valeurs olympiques et touché par l’atmosphère ressentie à Lausanne et dans les sites de compétition. Une carrière d’athlète reste en effet fragile, comme nous le rappellent tristement les nombreux genoux cassés des champions de Lillehammer 2016 (demandez à Aline Danioth et Mélanie Meillard, 6 médailles récoltées à elles deux en 2016 et 4 opérations des genoux depuis…).
Les médailles helvétiques : un indicateur du succès de ces JOJ ? Vraiment ?
Comment mesurer le succès de ces JOJ ?
Mesurer le succès de Lausanne 2020 à l’aune de l’écho médiatique mondial ? Fausse question, les JOJ resteront une compétition multisport de juniors ou de cadets, donc peu « bankable » dans les médias internationaux. Ce d’autant plus que les médias accrédités s’évertuent à y envoyer uniquement des journalistes sportifs, qui trop souvent comptent les médailles et portent de jeunes championnes et champions au firmament…
Le résultat financier alors? Fausse question à nouveau : ces JOJ sont un investissement dans la jeunesse, une opportunité de réveiller des passions, de valoriser des talents, et ce bien au-delà du sport et des chronomètres. Le budget (opérationnel) d’environ CHF 40 million est des plus raisonnable en regard des excédents réguliers et gargantuesques aux comptes de l’Etat de Vaud et de la Confédération. La jeunesse le vaut bien, non ? Alors au lieu de s’évertuer à rembourser des dettes ma fois plutôt saines, pourquoi l’Etat n’investirait-il pas plus sérieusement dans le bien-être, la formation et l’intégration de la jeunesse ? Les besoins sont pourtant bien là !
Pour juger du succès de Lausanne 2020, admirons plutôt ce que ces Jeux ont su valoriser comme talents : mascote, look, pictogrammes, vasque, chanson officielle… tout a été créé par des jeunes, en engageant des écoles et institutions locales… La région a pu montrer ce qu’elle produisait de mieux dans les domaines artistiques (quelle belle cérémonie d’ouverture !) et dans de nombreux corps de métier… Le monde académique n’est pas en reste non plus : de magnifiques collaborations entre l’UNIL, l’EPFL, leur Centre Sport & Santé, le CHUV, l’HESAV et Unisanté ont permis de nouveaux développements pointus et prometteurs dans le domaine des bilans de santé et de compétences motrices qui, une fois appliqués à une population « normale », offriront de belles perspectives en santé publique, prévention et promotion d’un mode de vie actif. De nombreux jeunes managers talentueux ont donné un coup d’accélérateur incomparable à leur carrière, au sein du comité d’organisation. Des milliers de bénévoles ont aussi gagné en expérience, des compétences qui bénéficieront à d’autres événements pendant des années encore.
Au-delà du capital image et financier – un dividende social !
Le succès de Lausanne est donc à chercher ailleurs. Notamment dans les dizaines de milliers d’écoliers qui auront vécu de près les frissons des compétitions mais aussi découvert les nombreux métiers du sport, au cœur de la capitale olympique et du hub du sport mondial qu’est devenu le canton.
Mobiliser les classes vaudoises aura été un des ingrédients clés du succès de ces JOJ – ambiance assurée dans et autour des sites !
Alors que les mauvaises langues prévoyaient quelques centaines de spectateurs dans les gradins et un déficit aux comptes de l’organisateur, une fois encore, les JOJ ont démontré la force unique du sport, de la jeunesse et de la marque olympique pour inviter les foules à venir participer et célébrer la diversité, l’excellence et l’amitié. Les rues bondées de Lausanne ou les longues files d’attente devant certains sites comme la nouvelle Vaudoise Arena témoignent de la même ferveur observée lors des éditions précédentes des JOJ. A Lillehammer en 2016 comme à Buenos Aires en 2018, le succès populaire a pris de court les organisateurs et les politiques locales! Pour beaucoup, la surprise est donc totale, y compris pour un grand nombre d’acteurs du comité d’organisation lui-même, de ses partenaires et des autorités locales, et même jusqu’au CIO lui-même, dans les murs duquel de nombreuses voix continuaient encore à critiquer les JOJ, voire même à les remettre en question. Formidable laboratoire et incubateur, donc, ces JOJ ! Pour la région hôte, pour le CIO, pour les fédérations internationales de sport aussi (pensez hockey 3×3, ski alpinisme).
Nous voilà donc déçus en bien! Car la force d’un événement comme Lausanne 2020, c’est d’avoir su générer de l’enthousiasme, susciter des vocations et réunir des acteurs autour d’une même vision et objectifs communs. Les JOJ n’attirent pas de sommes astronomiques en droits TV ou en sponsoring. Ils génèrent du dividende social – et il est grand temps que les politiques publiques reconnaissent aux activités physiques et sportives et aux événements sportifs cette vertu unique qui est de contribuer à un grand nombre de défis : santé, inclusion, mobilité douce, éducation, égalité des genres, compétences et accès au marché du travail, etc. Mais pour générer de tels héritages, une vision ambitieuse et une planification rigoureuse sont indispensables.
De nouvelles infrastructures pour la ville olympique et sa région : oui mais pas que ! « Lausanne la Sportive – tous en mouvement » veut faire bouger toute la population, comme la stratégie « Bouger plus » de Paris 2024 !
Lausanne Capitale olympique comme modèle de gouvernance pour une ville en mouvement ?
Pour un budget modeste, il est donc certain que la région ressortira gagnante, avec de nouvelles infrastructures sportives, de nouvelles compétences et synergies, sans parler des accélérations suscitées par l’événement, comme la réalisation du Vortex. Récemment certifiée Global Active City, la ville de Lausanne dispose également de beaucoup d’atouts pour illustrer et promouvoir une gouvernance publique dans laquelle l’activité physique et sportive pour tous joue un rôle central pour la santé physique et psychosociale de sa population et pour l’inclusion des couches plus vulnérables parmi ses administrés. Intégrés dès la conception de nouveaux quartiers, dans la politique de mobilité ou encore dans la politique de santé, le sport et l’activité physique récréative peuvent générer beaucoup de capital bien-être et anticiper ainsi (ou freiner) l’explosion des coûts de la santé, des aides sociales ou encore les conséquences du vieillissement de la population.
Nabila et Omid, tous les deux migrants afghans de 18 ans ont participé aux JOJ comme bénévole et comme porteurs de la flamme, grâce à leur participation dans le projet de République des Sports, projet labellisé « L’Esprit de Lausanne 2020 » depuis 2019 et soutenu par la ville de Lausanne, le Canton de Vaud, le Panathlon Club de Lausanne et le CIO
Avec « ses » JOJ, Lausanne passe du statut de capitale olympique à celui de ville olympique et se dote des meilleurs atouts pour progresser sur la voie de sa vision « Lausanne la Sportive – tous en mouvement ». On ne peut que se réjouir du rôle pionnier et exemplaire que Lausanne pourra jouer dans le concert des villes olympiques et au-delà (je vois d’ici le sourire sur le visage du Baron Coubertin… !).
Alors chapeau bas aux organisateurs et à leurs partenaires, pour une excellente organisation et pour avoir su ignorer les Neinsager et autres calvinistes-rigoristes qui leur prédisaient l’anonymat en janvier 2020… Espérons que sur la base de ce formidable projet multi-dimensionnel, de nouvelles collaborations voient le jour entre les silos traditionnels des différents services, tant au niveau de la ville, du canton que du pays hôte. Que l’éducation, la santé, l’aménagement du territoire, le sport, la jeunesse, l’économie et l’innovation se serrent les coudes pour apporter des solutions novatrices, intégrées et ambitieuses aux défis qui nous attendent. Car ils sont nombreux, comme l’illustrent si bien le damier des 17 objectifs du développement durable, proposés dans l’Agenda 2030 des Nations Unies.
Des jeunes suisses et des jeunes migrants de la République des Sports contribuent, avec la Fondation Verdeil à remettre le site des Diablerets « propre en ordre », le jour après la fin des compétitions : mégots, petits papiers, pelures… tout y passe pour respecter dame nature
Un bémol tout de même, au niveau national et pour une jeunesse plus active
Au vu de leur retentissement populaire, ces JOJ n’auraient pas dû rester une vaudoiserie et il aurait été sain de pouvoir compter sur un plus grand soutien des autorités suisses (politiques et sportives) pour un engagement plus large et ambitieux auprès des autres cantons. Qui sait, peut-être la Suisse se portera-t-elle candidate à l’organisation d’autres grands événements, alors mieux vaut s’améliorer vite fait dans la mise en place de campagnes véritablement nationales !
Au-delà des organisateurs lausannois et vaudois, un autre bémol doit encore être posé sur la capacité qu’auront eues les autorités sportives fédérales à saisir cette opportunité unique d’accueillir les JOJ en Suisse. Bien plus que les médailles récoltées par la nation hôte (on se bousculera toujours pour figurer sur la photo aux côtés des champions !), c’est sa capacité à répondre aux défis de sa jeunesse qui nous offre d’autres clés pour juger du succès national de Lausanne 2020. Lorsque des réponses auront été apportées aux 8 points ci-dessous, je me sentirai alors soulagé de savoir que mes enfants et leurs amis auront véritablement gagné quelque chose de ces Jeux Olympiques de la Jeunesse Lausanne 2020 !
Sebastian Henriksen, 22 ans, de Tromsoe au nord de la Norvège. Young Change-Maker lors des JOJ de Lillehammer 2016 et aujourd’hui membre du conseil d’administration du comité national olympique norvégien (qui s’impose 2 membres de moins de 26 ans en permanence). Une leçon pour le sport suisse ?
Osons donc ces vraies questions afin de porter un jugement plus global sur le succès et l’héritage de Lausanne 2020 :
Quels sont les plans de la Confédération, de Swiss Olympic et du canton hôte après le 22 janvier pour:
- attirer plus d’ados vers la pratique régulière d’un sport sain et inclusif (plus de 85% des 11-17 ans en Suisse ne bougent pas assez selon une récente étude du Lancet et de l’OMS)?
- renouveler les cadres des fédérations et clubs sportifs afin de mettre en avant de jeunes talents (des deux sexes!), tout en leur donnant de vraies responsabilités?
- inclure plus de jeunes dans les conseils et comités directeurs des organes dirigeants du sport suisse
- soutenir les pratiques “libres” et urbaines de nouveaux sports (même quand il n’y a pas de fédérations ou de licences)
- lutter contre l’inégalité de genres dans la pratique adolescente et adulte du sport, proposer un plan « jeunes filles & sport »
- freiner la fuite des 14-18 ans qui quittent les clubs, en soutenant des formes de sport récréatives et moins compétitives (comme l’a déjà bien compris le SEPS dans le canton de Vaud)
- s’assurer que les lois en matière de sport scolaire soient respectées (la fameuse troisième heure!)
- identifier, mentorer et “seed-funder” de jeunes entrepreneurs sociaux qui s’appuient sur le sport et l’activité physique pour tous afin de produire du capital social (santé, motricité, inclusion, solidarité)
Les solutions existent. Certaines viennent de l’extérieur (d’autres avant les Suisses ont su organisé de beaux événements avec du sens et de l’impact !) et certaines sont locales et portées par des champions reconvertis dans le tissu économique et sportif de la région. Alors faisons-leur confiance et osons surfer sur la belle vague de Lausanne 2020!
Philippe Furrer
Activiste du mouvement et du sport
@inspoweredby
Cet article a été publié sur www.sportanddev.org le 22 janvier 2020
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